mercredi 21 juillet 2010

Julian Casablancas @ Bikini


Depuis une quinzaine de jours, je bosse sur des chantiers de 7h à 19h30 -ce qui explique le retard que je prends sur ce blog-. Premier jour, je me présente en tant qu’étudiant et on me catalogue immédiatement intellectuel paraplégique de la paluche. Du coup, généralement, on me confie une pelle, un balais ou une pioche puis on me demande la définition de mots incongrus et on essaie de me piéger sur des calculs douteux à longueur de journée.
Mon boss a mon âge, 19 ans, alors entre deux bières le midi, on partage des tranches de vie. Une sœur de meilleur pote coïtée maladroitement à l’anniversaire surprise de celui-ci, un aileron tuning en promo chez Leclerc Auto, ça crache goulument sur la littérature et les sciences et ça s’émerveille devant un quad 250cm3, la vraie vie quoi. Une question le taraudait en ce mardi 13 juillet vers 12h43 au café plutôt cosy de ce petit village d’environ 900 habitants qu’est Salvagnac :
« Eh, demain 14 juillet, tu sors ce soir ?
-Oui, je vais au Bikini voir Julian Casablancas.
-C’est quoi ça ?
-Julian Casablancas, le chanteur des Strokes, il fait une carrière solo et voilà il passe à Toulouse, tu sais, les Strokes, c’est un peu les Beatles de l’an 2000, ils ont fait la musique de la pub EDF il y a un p’tit moment, le générique du grand journal...etc.
-Ah ouais, ça m’dit quelque chose, de nom […]. Hum, eh , une autre bière ?
-Ouais.. Elles sont pour moi celles-ci.»

Quand vous sortez de journées comme ça, vous êtes presque content de retrouver les hipsters bucheronnés du Bikini, les tee-shirt déchirés et les croix latines tenues par deux morceaux de ficelle qui s’effilochent, les indémodables marinières et les sabots hauts-perchés des modeuses tendances. Après quelques pintes, on tend l’oreille sur la première partie, il s’agît de Girls et son Lust For Life. Sympathique, minimaliste, appréciable.

Les aventures solo des Strokes sont toujours une réussite malgré la perte de certaines vibrations. Que ce soit Little Joy ou Albert Hammond, Jr., les anciens membres semblent empreints de cette même essence, cette même odeur de tabac froid, ces mêmes ivresses, cette fausse simplicité, ces objets patinés et usés, ces converses abrasées, et ce charisme de zonard camé à la voix imbibée.
Julian Casablancas ne fait pas exception, du haut de ses trente-deux ans, il en parait quinze. Une veste streetwear XL écarlate, un débardeur noir aux imprimés psychédéliques ambiance planche de surf flashy sorti tout droit d'une friperie de Brooklyn, un slim rouge, des sneakers mâchés vissés aux orteils, une coupe ignoble avec une mèche blonde glissée sur l’oreille résultant probablement d’une mutinerie intra-bus, mais surtout, des dizaines de breloques au cuir édulcoré tenues à bout de bras. Un physique de teenager grunge tout droit sorti des 90’s, la démarche bancale comme marchant sur des œufs, Julian s’avance et prend la lumière. Il assène quelques mots qui ont un arrière-gout de bourbon  dans un anglais fleuri pour ce désormais père de famille sobre et responsable. On a, heureusement, du mal à y croire parce que personnellement le néo-Julian qui ne boit pas, ne fume pas, est marié et a un marmot ça me foutait un peu le bide en vrac, j’avais pas envie de vivre un concert de U2 quoi.


River Of Brakelights, premier morceau du show évanouit les interrogations.
Le truc cool avec les Strokes c’est que même sans être foncièrement fan, on se passe chaque album en boucle pendant au moins une semaine au moment de la sortie. Alors du coup, aux concerts, le public –plutôt hétéroclite d'ailleurs- est très réactif et connait les morceaux sur le bout de la hanche. Casablancas enchaine sur Hard to Explain, morceau des Strokes issu d’Is This It, plutôt ravi que les morceaux du groupe soient, légitimement, inclus à son répertoire.

Julian ne cache pas ses ambitions artistiques, c’est lui qui a largement composé les sons des Strokes et s'est érigé en véritable tête-pensante, mais les tensions qui règnent dans le groupe le réduisent désormais régulièrement au statut de pariah. Ainsi celui-ci privilégie désormais sa carrière solo : « Si j'ai une idée que je maîtrise de A à Z, je l'exploiterai sans doute seul. Si j'ai quelque chose d'un peu moins fini, je l'apporterai aux Strokes. »
Et l'idée finale de ce Phrazes For The Young est relativement bien ficelée en live malgré la courte durée, une petite heure tout au plus, rappels inclus. L'album est plus un clin d'oeil à Depeche Mode et c'est plus vraiment du Strokes mais le public préfère quand même largement The Clash à Depeche Mode. C'est là où Casablancas fait fort, dans l'assemblage, mêler les deux univers était vraiment le choix le plus judicieux. On retrouve donc la pluralité de synthés associée à la batterie bien crade, elle-même couplée aux cymbales accessoires des différents musiciens, et, bien evidemment, aux guitares 230 volts. Au total, pas moins de six musiciens hyperactifs.

L'adulescent s'égosille et ne ménage pas sa voix, tantôt stridente, tantôt caverneuse, toujours gracieusement indolente, le public reprend en choeur Out Of The Blue -du moins les "oooohooooohooh"-, la pilule passe parfaitement, même le Xmas Song étrangement d'actualité [...]. Le show se termine prématurément sur Left & Right in the Dark. Ça hurle, ça gémit, ça tapote des phalanges, ça "ohohouhoho". Pas trop le choix, Casablancas rempile et termine magistralement sur Modern Age, laissant déjà planer une douce saudade, comme une cigarette trop courte dont on aurait bien gobé le filtre.

Photos : Estelle Soulard

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