mercredi 2 mars 2011

Destroyer - Kaputt (2011)


Date de sortie : 25 janvier '11
Label : Merge


       Daniel Bejar est l’un de ces compositeurs pour le moins prolifique. A la fois membre de The New Pornographers, de Swan Lake et de Hello, Blue Roses. Le jeune quadragénaire opère aussi sous le nom de Destroyer depuis une quinzaine d’année, un réceptacle où sa plume affutées ne retient rien, pour le meilleur et parfois le pire. Loin des clichés folk de ses débuts, il marrie pêle-mêle l’acid-jazz et la new-wave sur un neuvième album, Kaputt. A la fois fougueux et grave, chaud et intemporel, aérien et aseptisé, le moins que l’on puisse dire c’est qu’on ne reste pas insensible à la destruction canadienne.

       Roi de la finance, vous êtes à New York pour un contrat conclu dans la matinée avec une grande marque de cosmétique. Il est 17h00, des affiches de Reagan sont placardées un peu partout à Manhattan, vous décidez de trainer les pieds dans Chinatown, votre flair est infaillible, ces petits jaunes seront bientôt les fers de lance de l’industrie high tech. Brise automnale, les feuilles mortes jouent de leurs vermeils sur l’asphalte cabossée. Vous mettez en route votre lecteur K7. Caisse claire, trompettes, basses vous étreignent lentement de toute part et réchauffent vos mains violacées. Votre cravate se fait la malle, vous commencez à réfléchir à ce que vous êtes sans elle. La brise s’intensifie et bientôt le caramel que vous étalez soigneusement sur vos cheveux ne fera plus effet. Miné, vous décidez de rentrer à l’hôtel.
       Ambiance jazzy, deux vieux bonhommes sont enfoncés dans leurs chesterfields en tétant des Cohiba. Une brune électrique vous fait de l’œil au comptoir, vous l’abordez et commandez un bourbon. Votre vie sentimentale laissant à désirer (Poor In Love), très vite vos deux corps obtempèrent. Sa main aux extrémités sanguinaires se retrouve sur la votre. Vous montez.

       Dans l’ascenseur, la vue chevauche la grosse pomme, une musique aérienne vous emporte (Kaputt). Tempo apaisant, synthétiseurs 80’s et solo de saxophone, vous pensez que ça fait un peu porno mais vous aimez bien ça dans le fond. « New York City want to see you naked and they will » charrie la voix gracieusement nonchalante, elle ne croit pas si bien dire.
       Vous ouvrez la porte de votre chambre aux couleurs camel, rien de personnel. Une grande baie vitrée saupoudrée des lumières de la ville qui vous fait penser à Lost In Translation, référence que vous acquerrez dans une grosse vingtaine d’année. Après avoir décimé le minibar avec votre joyeuse compagne, vous passez sous la couette. Frasque érotique intemporelle, le temps s’arrête, la flute traversière de Suicide Demo For Kara Walker insuffle l’échine frissonnante de votre partenaire, le plafond se constelle et de petits rayons bleutés glissent sur vos peaux au rythme des coups de reins.
Pincez vous, ce n’était qu’un rêve.

       Un rêve, oui. Derrière cette brume à la fois chic, élégante et sensuelle qui embue vos yeux, Bejar a poinçonné sa musique de textes durs et froids. Une vision poétique des excès de la société actuelle, le cas des junkies et les dérives de l’industrie musicale notamment. L’ambiance raffinée et chaude de Kaputt est une sorte de sédatif hyper-performant destiné à capter toute votre attention, pour peu que vous soyez seul. Une ode aux musiques d’ascenseur 80’s nappées de cuivre qui rappelle Roxy Music, la période berlinoise de Bowie ou l’univers de Frankie Goes To Hollywood. Kaputt, c’est l’état dans lequel ressort votre conscience après ce disque. A moins que ce soit vos organes génitaux, à vous de choisir.

Paul Bousquet

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