mardi 23 août 2011

Enquête sur le mouvement Witch House - Good Kids Gone Bad



Witch House, drag, crunk shoegaze. Ces termes vous sont familiers ? C'est normal, depuis un an ils fleurissent un peu partout sur les blogs et dans la presse musicale anglosaxonne. Il y a trois ans, c'était le terme Chillwave qui naissait. Aujourd'hui, le terme "chiller" fait partie intégrante du vocabulaire du jeune lambda - "On va chiller sur les bords de Seine cette après-midi ?"

      La chillwave avait été initié par une ribambelle d'artistes comme Toro Y Moi, Neon Indian ou encore Washed Out. Ces derniers, armés de leurs rafales synthétiques ensoleillées et engluées ainsi que de leurs clips de surfeurs aux couleurs sépias ont partiellement créé le mouvement hipster. La musique et la mode, deux antités toujours étroitement liées. 2011 n'a pas dérogé à la règle, les hipsters envahissent les pavés sur des vélos à pignon fixe, un polaroïd autour du cou et sapés de matières authentiques - et informes. De la laine, du cuir, du chino ou encore de la corde associées à des montures en écailles sont autant de textures  qui jonchent les podiums.
      Face à l'engouement autour de la chillwave, nous sommes en droit de penser que l'histoire est un éternel recommencement et que la Witch House surfera au sommet de la séduisante vague de la hype, engloutissant par la même occasion bon nombres d'entre vous. Witch quoi ? Patience lecteur, nous y arrivons. 

      Ils se nomment oOoOO †‡†, Salem, White Ring, ou encore Sleep ∞ Over. Cousins lugubres des Crystal Castles et de Fever Ray, le nom de ces groupes donne le ton, celui d'un univers cryptique aux visuels macabres. Des noms pour la plupart innomables, "ingoogleables" et donc indécelables. A la manière d'un cercle des poètes disparus, le bouche à oreille est de mise pour découvrir les subtilités sombres du mouvement. Clin d'oeil à l'ère numérique où plus rien ne se prononce oralement, clin d'oeil aussi aux disquaire, l'ère physique, désormais préhistorique autrefois synonyme de préhystérie face à de petites perles inconnues planquées dans les tiroirs du fonds.

      Côté son, le BPM est plus lent que le coeur d'un plongeur en apnée. Une épaisse pâte de synthétiseurs ensanglantés  mêlée à des voix d'outre-tombe parfois accompagnées d'un fond d'opéra, rappelant les groupes goth 70's - 80's. Le tout largement saturé presque bourdonnant, sans jamais vraiment tendre vers la violence ou les revendications idéologiques. Simplement décanter le sublime de la laideur, la magnificence des abysses du corps et de l'âme. Visuellement, cela se voit. Des tumblr (http://witchhouse.tumblr.com/) par centaines remplis de clips bas en couleur qui patchworke le cinéma d'horreur de la première moitié du XXème siècle, proférant un côté burlesque, ironique et dérangeant parfaitement assumé. On touche aussi aux codes geeks qui se voient détournés sciemment : les lolcats sortent les dents et hérissent leurs poils tandis que les poneys croupissent dans des champs brumeux. 




Pour cerner le public Witch House, nous avons rencontré Dimitri Troie et Faust O'Salem, deux jeunes hommes au coeur du mouvement de part et d'autre de l'Atlantique. Engrainé il y a deux ans, cette musique et les visuels ont été pour eux une forme d'illustration de leur état d'esprit. "Etant de nature assez solitaire et tourmenté, j'ai toujours baigné dans le mystique, je m'y suis toujours reconnu et réfugié, la vie a voulu ça." nous confie Faust, même combat pour Dimitri : "A la base , je suis très intéressé par tout ce qui est surnaturel, étrange, irrationnel voire morbide parfois. Cet attrait est dû à mon histoire, aux décès douloureux. Face à ces derniers, l'ésoterisme et le mysticisme se sont naturellement imposés comme des pistes délirantes dans la société actuelle, elles n'en restent pas pour le moins passionnante, c'est pourquoi j'ai immédiatement perçu la Witch House comme un écho à mes songes." 

      Loin de l'idée d'un glauque handicapant socialement, la witch house se présente plus comme un dérivé sombre de la mode et de l'intellect actuel. "On est attiré par l'effrayant. Pour ce qui est des fantômes, on les chante et les porte, tout en continuant d'aimer le vintage, les dessins animés, les gomettes et les jeux vidéos mais c'est encore mieux avec du sang, des morts et la nuit." nous chuchote Faust, sourire en coin.  

      Les jeunes diablotins gringalets se rassemblent aussi dans de nouvelles raves. Toujours récréatif, simplement plus sombre en jouant les apprentis-sorciers : "Démons, magie, église, spiritisme, tout y passe. On assume l'inquiétant, on a plus peur, on pense le maitriser, on joue finalement des codes qu'on connait peu mais qui nous ont toujours intrigué depuis l'enfance déjà en matant "Fais moi peur !" le mercredi aprem sur France 3. On se sent incompris, et on aime ça, on se retrouve donc entre petits monstres. Tel une cérémonie, on rend le badant mode, on ne gigote plus des bras : on les lève aux ciels et on acclame je ne sais quoi, on écoute des mix de mix de mix de Salem, ça grésille, ça grince et ça hurle aussi parfois et on aime ça. C'est un peu le nouveau Sabbat." Faust 

      Le mysticisme, le spiritisme, la sorcellerie, les pentacles, les triangles inversés, l'alchimie, les illuminatis; toutes ces entités sombres et ces confréries secrètes fascinent la jeunesse occidentale, ancrée dans un siècle où la science se veut de tout élucider. Souvent dérangeants, ces sujets délient pourtant toujours les langues en petit comité lorsque chacun y va de son anecdote. Conséquence directe de la pseudo-apocalypse de décembre 2012 ? Peut-être, en tout cas la mode le comprend bien et mise peu à peu sur des créateurs aux univers obscurs comme Gareth Pugh, Rick Owens ou encore Damir Doma. Récemment, on a même vu un jeune canadien de 25 ans tatoué de la tête aux pieds - Rick Genest aka The Zombie Boy, devenir l'égérie de Thierry Mugler et parader aux côtés de Lady Gaga dans le clip de Born This Way. Regardez les choses en face, on a jamais autant englouti d'histoires de vampires que ces quatre dernières années -Morse, True Blood, Twilight, le fantastique glauque est déterré et consommé sans pudeur -Le labyrinthe de Pan, Beetlejuice, Tideland, Alice au pays des Merveilles.  

      Ainsi, la witch house rassemble les univers torturés et fascinants, modèle les sons et les caractères vers de nouvelles limites qui n'ont pas encore été appréhendée par la science, serait-ce les bases d'un electrochoc socioculturel dont on se souviendra dans 20 ans à la manière de la New Wave ? Il est encore trop tôt pour le dire mais les adeptes se multiplient, le streestyle s'assombrit  et trempe dans le bouillon esotérique à grand coup de bagues péroxydées, de mitaines rapiécées et de New Era calcinées. Une fois de plus, musique et mode s'entrechoquent repensant les codes et les attraits, ne passez pas à côté ! 

Paul Bousquet


Photo : Faust O'Salem

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