mercredi 21 septembre 2011

L'étudiant travailleur.


La vie d'étudiant n'a rien de facile contrairement à ce que pense une immense majorité de salariés. Le prix d'une année universitaire coûte en moyenne 8300€, 4,1% de plus que l’an dernier. La France est pourtant le pays où les études supérieures sont les moins chères au monde. Mais tout de même, 8300€, il faut les trouver même si Papa et Maman vous aident un tant soit peu. Le système D est la clef de voute d'une vie étudiante épanouie. Autrement dit : prendre un Mojito ou un Long Island en début de mois et finir par une bière coupée à l'eau. Pour remédier à cette situation pour le moins désavantageuse, les jeunes se retroussent les manches au moins 3 mois dans l'année, l'été. Les plus téméraires auront fait leurs CV et lettres de motivation en février/mars, d'autres squattent les entreprises des potes de Papa et les derniers, pas organisés pour un sou, débarquent la fleur au fusil en agence d'intérim. On s’intéressera à ces derniers.

8h37, appel de l’agence. «Bonjour Paul, c’est l’intérim, excusez-moi de vous déranger, vous pourriez travailler chez X dans 3/4h ?» - «Hum, ggh, oui, bien sûr». Toujours dire «Oui», à tout et n’importe quoi. Et oui, le temps est compté, vous avez trois mois pour vous en mettre plein les fouilles alors même si l’idée de distribuer des tracts Kiabi en plein centre-ville pour 20€ n’a rien de reluisant, il va falloir s’y mettre et ainsi montrer votre motivation. Une fois ces petites tâches accomplies, on vous file de vrais boulots. Ouvrier d’usine, éboueur - de loin le mieux payé si vous êtes prêt à supporter les quolibets de vos potes, type-qui-passe-le-balais sur les chantiers, type-qui-pose-les-panneaux-publicitaires dans les stades de foot...etc.


Sachant qu'un intérimaire coûte deux fois plus cher à l'entreprise qu'un salarié normal, les patrons n'hésitent pas à vous comparer à un morceau de gigot en vous trainant dans les recoins les plus sombres des entrepôts afin de nettoyer la fiente de vos pairs éphémères ou pour vous crever physiquement et intellectuellement. L'exemple le plus marquant auquel j'ai été confronté fut Dunlop. Oui, vous savez, les pneus là. Bah chez Dunlop, tu viens 3h pour 25€ et tu décharges un semi remorque arrivé tout droit de Pologne à main nu. 25kg le pneu, un petit millier au total. Pas de pause ni de bouteille d'eau, «On perdrait en productivité» m’explique gentiment mon boss bedonnant.
La moindre protestation est durement sanctionnée, l’entreprise cesse immédiatement de vous rappeler. Bah oui, vous êtes étudiant intérimaire, un chanceux. Les mecs que vous côtoyez font ça 47 semaines par an pour moins cher que vous et ça leur fout la haine qu’un type débarque une journée et fasse le même taff qu’eux si ce n’est mieux en 1/2h d’adaptation. Un milieu où la grande majorité des salariés ont éclaté une capote à 19 ans et se sont retrouvé là, sans rien comprendre. Le club des rêves brisés. Et puis quinze ans sont passés, quinze ans à entendre Fun Radio toute la journée, ça ravage le vortex ça.


Dans une grosse structure du type usine, il y a toujours une salle de pause. Si vous êtes confronté à cette expérience, privilégiez la salle fumeur, plus amusante. Salle que l’on appellera «JT de 16h30». A mi-chemin entre le 13h et le 20h, les histoires de patelin côtoient l’immense majorité de drames. Ici, Jean-Pierre Chazal a une sciatique et le tabagisme commence à attaquer sa peau, il porte une blouse et une charlotte sur le crâne. Malgré ça, il fait bien son taff, le point info est assuré, tirant ses sources dans le seul journal présent : La Dépêche du Midi. «Ah tiens, une brocante dimanche à Gaillac (?)», «Mmh, ouais. Et vous avez vu la semaine dernière le type complètement bleu qui roulait à contresens sur l’autoroute ? Il s’est fait chopé heureusement», - «Ya des fous partout, ils méritent la chaise électrique ces mecs-là», «Et vous avez vu l’autre nazi là en Norvège qui a buté 80 bonhommes ? Il avait combien de chargeurs ? Hahaha.». Sourire gêné. On embraye sur le boulot «Et ça marche bien vous ?» puis on finit par le beau temps de la côte méditerranéenne. JT fini, chacun perce les secrets de son gobelet de café et l’ambiance se rafraichit malgré les montagnes de mégots qui se grillent au coin des lèvres ambrées. Sur le mur craquelé, une pub pour le site internet de l’usine, un forum actif. Ça fait bien marrer Jean-Jacques qui sort l’ultime réplique «Comme si j'en avais pas assez de voir leurs gueules de clébards toute la journée, il faudrait aussi que je me les tape en rentrant chez moi ? Allez, j’y retourne..». Amers, c’est le mot qui résonne dans votre petite caboche estudiantine naïve, montée du FN chez les ouvriers aussi, pour certains.

Malgré tout, le travail est servi sur un plateau et plutôt bien payé. Pense que ces heures de labeur constitueront ton capital bien-être de l’année et que tu seras ravi, jeune étudiant, de payer un resto à ta meuf plutôt que de l’emmener au McDo, d’acheter des Dunhill plutôt que des sales roulées, de ne pas gratter à la porte de ton père pour acheter des caleçons. Saches que tu auras tout claqué avant Noël dans ton abonnement internet - parce que ça t’a bien fait chier l’an dernier de ne pas avoir vu un seul film en entier à cause du hotspot Freewifi, dans ta facture EDF, dans une nouvelle table basse, dans des Chocapic plutôt que des Chocos Carrefour Discount ou encore... dans un Macbook.

Sache-le, ta liberté financière est éphémère mais faire une photo de son compte en banque à quatre chiffres, ça n’a pas de prix.


Paul BOUSQUET

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